Adulés comme décriés, les World Series of Poker suscitent chaque année de nombreux débats. Et cette saison, le festival fêtait ses 50 étés. L’occasion de faire le point sur les tops et les flops de cette anniversaire particulier.
Des chiffres records, une affluence historique, de longues files d’attentes, de nouveaux tournois, des structures modifiées… sur le papier, l’édition du cinquantenaire des WSOP 2019 s’annonçait en tout point remarquable. Oui mais voilà, en pratique quelques couacs ont émaillé le festival. Et les avis divergent sur les changements effectués, notamment l’addition d’événements nommés Deepstack aux buy-in inférieurs à 1 000$.
« L’édition des 50 ans, je ne sens pas la différence. Certes les garanties sont toutes explosées mais en terme de jeu il n’y a rien qui change, estime le coach Poker Academie Benjamin Chalot. Par contre, les WSOP ne devraient proposer que des gros buy-in où les meilleurs joueurs viennent se confronter. Les tournois entre 400 et 800$ avec 10 000 joueurs, ce n’est pas élitiste. » Une opinion partagée par de nombreux joueurs professionnels, à commencer par son collègue Clément ‘bibibiatch’ Richez : « la chute des buy-in est un peu décevante. Les tournois entre 600$ et 1 000$ sur plusieurs jours avec des niveaux d’une heure et des blindes qui montent très lentement, c’est catastrophique. Cela rend les tournois pas rentables pour les professionnels, pour qui il vaut mieux jouer en cash game. Sur ce type de tournoi, malgré un ROI de 100%, le rendement n’est rien comparé au cash. Faire des 1 000 à 2 000$ avec des niveaux progressifs de 40 minutes aux Jours 1 puis 45 minutes ou une heure ensuite, cela permettrait aussi un plus gros volume pour ceux qui le souhaitent. »
« Le marketing a pris le dessus sur le prestige »
« Plus il y a de gros buy-in, mieux c’est », enchaîne le jeune pro Winamax Adrien Delmas, tandis que pour le capitaine des PMU Erwann Pecheux « les 1 000 et 1 500$ avec des structures 150 blindes deep, niveaux d’une heure, ont quasiment disparus au profit d’événements à plus faibles buy-in, des faux deepstack, trop profond au début et loterie à la fin. Certes, les joueurs récréatifs adhérent et viennent en masse, mais le marketing a pris le dessus sur le prestige au final. »
Tout juste auréolé du titre de meilleur tricolore sur le Main Event, Romain Lewis n’est pas du même avis que ses pairs. « Malheureusement, tout le monde n’a pas 1 500$ ou 2 000$ à mettre dans un tournoi et il faut que les WSOP attirent de plus en plus de monde pour faire grandir la marque. Donc ils font bien de baisser les buy-in pour permettre au plus grand monde de jouer ce festival. Arriver à battre 2 000 ou 3 000 joueurs sur un 600$ et gagner un bracelet, cela équivaut et même dépasse le fait battre une cinquantaine de joueurs sur un 50 000$. On joue peut-être contre les meilleurs joueurs du monde dans le 50 000$ mais c’est comme battre 30 fois plus de joueurs sur un autre tournoi. Je ne pense pas que le fait qu’il y ait des tournois moins chers enlève du prestige au bracelet, » conclue le Team Pro Winamax. Amateur éclairé, le Parisien Abou Sy partage cette idée : « les buy-in moins élevés, c’est très bien, j’avais établi mon planning en conséquence avant de venir. »
Et quid des nouvelles structures, offrant plus de jetons de départ notamment ? Là aussi, les avis sont mitigés. « Beaucoup de joueurs se fient au nombre de jetons plutôt qu’au nombre de blindes, assure Abou Sy. Ils vont donc faire plus d’erreurs techniquement, vont être plus curieux à aller voir des flops sans considérer forcément qu’ils engagent pas mal de blindes, cela donne plus d’EV aux bons joueurs. » Son de cloche différent chez Erwann Pecheux qui n’apprécie guère les modifications : « Au contraire des années précédentes, les structures ne répondent à aucune logique en terme de niveaux et de nombre de jetons de départ par rapport au buy-in. Résultat, les Jours 2 de certains tournois étaient trop remplis et cela a bloqué de la place pour les nouveaux tournois. Et puis les re-entries devraient être bannis de la plupart des épreuves (à l’exception du Big50, Colossus ou 888$). Les WSOP cherchent juste à battre des records en faisant gonfler les chiffres. Et au final, il y a plus d’entrées mais moins de joueurs uniques. »
Une affluence record
Les chiffres justement, parlons-en. Avec une pluie de records et le deuxième plus gros Main Event de l’histoire, l’affluence fait assurément partie des tops du festival du cinquantenaire. « C’est génial de voir des tournois aussi gros et qui grandissent d’année en année, s’extasie Romain Lewis. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux WSOP, je n’avais pas encore 21 ans, on me disait que le poker était en déclin. Mais pas du tout, on voit bien que le poker a un futur énorme et qu’il y a de plus en plus de passionnés. Avant, ils étaient une centaine à pouvoir prétendre à gagner 30 bracelets, aujourd’hui on est 30 000 à avoir l’occasion de remporter une centaine de bracelets par an. »
« J’aime aussi l’addition de quelques bracelets online, poursuit le jeune Team Pro Winamax. On se dirige plus vers un monde online et on peut croire que dans 5/10 ou 15 ans il y aura carrément des series online. Être dans sa villa avec ses potes et deeprun un event online, c’est aussi kiffant qu’en live. » Encore une fois, les avis varient. « Les WSOP doivent rester un festival de tournois live, pas online, estime Erwann Pecheux. Surtout que la sécurité est moins assurée sur Internet, n’importe qui peut jouer sur n’importe quel compte et gagner pour quelqu’un d’autre. » Sur les réseaux sociaux, le fer de lance de l’équipe PMU Poker ne s’est pas gêné pour tirer la sonnette d’alarme. « Les chiffres records n’ont pas réussi à être absorbés en terme de matériel, la pénurie de jetons notamment s’est faite sentir avec des valeurs identiques mais des pièces différentes, et les mêmes jetonneries sur plusieurs tournois. Il faudrait aussi songer à investir dans de nouvelles tables avec des prises USB pour recharger les téléphones et des mélangeuses pour un meilleur confort de jeu et plus de rapidité. Enfin, mais ce n’est pas nouveau, les croupiers dans leur majorité sont incompétents et beaucoup trop laxistes sur les ruling. Les floors aussi laissent beaucoup faire, les sanctions sont rares et faibles. »
Des inscriptions automatisées
« Les croupiers ne sont pas très bons certes mais sur des buy-in peu élevés avec des milliers de joueurs, on ne s’attend pas à des dealers avec beaucoup d’expérience nuance ‘bibibiatch’. Concernant les inscriptions, il est plutôt facile d’éviter les queues grâce aux bornes automatiques, avec la possibilité de payer online. » « Pour éviter les queues, il suffit de s’organiser, renchérit Abou Sy. Je m’inscris en avance sur mon compte en ligne, je récupère ensuite mon ticket et mon seatdraw sur les machines directement. C’est un gain de temps énorme, un très bon service mis en place par les WSOP. Beaucoup de joueurs devraient s’y intéressés. »
En résumé, c’est auprès des joueurs amateurs que les World Series of Poker entendaient se tourner en cette 50e édition. Pari réussi certes, mais au détriment d’une bonne partie des professionnels qui se dirigent désormais en masse vers les autres tournois live proposés dans les casinos de Las Vegas à la même période, fuyant le Rio et ses tournois polarisés, avec d’une part des fields massifs remplis de ‘fishs’ et d’autre part des haut buy-in peuplés de ‘requins’. « Trop de regs ont oublié l’état d’esprit sportif du poker, conclut Benjamin Chalot. Ils ne veulent pas jouer certains tournois car ils les estiment trop durs, avec un ROI trop bas. Je n’aime pas cette mentalité. Selon moi, le poker est un sport où, quand tu as la bankroll, tu devrais vouloir le challenge en affrontant les meilleurs. À quel moment Federer refuserait de jouer Roland Garros parce que Nadal y est ? »
Crédit photos WSOP / Article publié le 15 juillet sur PokerAcademie